DÉCEMBRE
RENOUER AVEC LA TERRE


photogramme - Marie pulvérise de la Maria Thun, préparation de biodynamie, sur une parcelle.




Broder les gestes.


Lundi
plonger dans le noir
dérouler les bobines
les tourner dans la chimie
les sécher
les projeter
découvrir les images d’octobre et novembre


Mardi
retrouver les filles
sentir les vins
ouiller les barriques
dynamiser la Maria Tune
regarder le vortex et le chaos
regarder l’eau devenir brune


Mercredi
charger la remorque
semer 2 tonnes de basalte noir
marcher 13 km
sous le regard des ânes
se prendre la pluie
regarder la nuit tomber


Jeudi
6 femmes dans la cave
goûter les vins de Christelle
vin blanc, jaune, transparent, rouge sombre
goût de cerise, de nougat, de bois, de raisin
chercher depuis quand nous nous réconciliation avec la terre
pulvériser la maria tune


Vendredi
écrire
enregistrer
appeler
ranger




un vendredi plus tard
retourner à la Pao
planter des arbres
1 km de haies
en deux jours
à plein de bras
Jacques dit à Marie
“J’ai vu mon père tout arracher
j’ai compris mais j’ai rien fait
et toi tu arrives et tu replantes”
réparer le paysage
redessiner ses contours
abriter, contenir, équilibrer





La semaine dernière, j’ai plumé un canard col vert. Pour la première fois. J’avais déjà vu faire ce geste chez moi, par ma mère, mon grand-père, comme d’un geste routinier de repas de famille, de préparation évidente avant tout engouffrement du dit canard dans le four et dans nos gosiers. Là, je lui ai coupé le cou et pété les ailes tout de même. Mais c’était bon. Avant, j’ai tué un barbillon de Loire. Avec un marteau je précise. C’est assez hard core. Même si dans les yeux du poisson, on n’y voit guère d’émotions, là, j’avoue, son regard m’a glacé. J’ai donc tué pour manger. Et pas qu’une fois. Depuis que nous habitons en bord de Loire, que Marie fait du vin, que nous renouons avec notre corps, nos gestes, notre biotope chaque jour, les brebis, les boeufs derrière chez nous, les tomates dans le jardin, les oeufs des poules du voisin, les fromages de Franck et Babeth, les canards de Yann, le veau de Laurent, les légumes d’Augustin, le poisson de Nico, le vivant nous envahit. Et du coup, la mort aussi. Le fragile équilibre du vivant, sa violence dans sa lutte aussi me parle chaque jour. Et m’éloigne chaque jour plus de l’acte d’achat, de la consommation. Pour manger, j’allais faire des courses quotidiennement dans le 18ème. Pour manger aujourd’hui, le pêcheur est passé m’apporter un poisson, le chasseur son canard, le maraîcher son panier de légumes. Et me laisse le soin parfois de me charger de la mort de l’animal, et de voir par là même de quoi la nature est faite. De vie et de mort. Faire enfin la synthèse, l’adéquation, plonger dans le vivant avec l’aventure de Marie, comme dans son éphémère statut. Et laisser les batteries de poulets aux autres, ceux qui chassent dans d’autres salons. Je pensais cela ce matin au moment où les candidats à la présidentielle venaient de se lancer dans leur campagne. C’est assez drôle de dire campagne pour des hommes et des femmes, mais plus souvent des hommes, qui n’en voient pas la couleur, et surtout, qui se lancent plutôt dans une sorte de chasse à courre. Chasse à l’homme. Eux et elles parlent beaucoup du vivant, des êtres vivants. Mais finalement ne s’y intéressent guère. Et c’est plutôt cette pulsion de mort que l’on voit chez eux/elles.  Tuer son concurrent, sa concurrente. Parler de la vie, se projeter pour finir par achever à coups de crosse médiatique son rival. Je les aurais bien plumé aussi tous ceux là.

mail d’Élodie Louchez, 1er décembre 21




photogramme - laine de mouton en protection

sur les arbres tout juste plantés






Production B R U M E S - avec le soutien de la Communauté de Communes du Pays d’Ancenis, de la DRAC Pays de la Loire, du département Loire Atlantique, de la Ville de Nantes, de la SACD et de la DGCA - “Écrire pour la rue”, de HORS-CADRE 21 - Association des CNAREP, de Pronomades, des Ateliers Frappaz, du Citron Jaune, du Boulon et de l’Atelier 231, de la coopération Itinéraire d’artiste(s) - Au bout du plongeoir, la Chapelle Derezo, le CDN de Normandie-Rouen et les Fabriques de Nantes.


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